FORMATION ART THERAPIE À DAKKAR du 28/10 au 01/11/2024

Formation Art-Thérapie cet automne à Dakar

🖌️ L’objectif est de permettre aux participants de s’initier ou d’approfondir leurs compétences en art-thérapie grâce à l’approche théorique et les mises en pratiques proposées par un art-thérapeute expérimenté.

👩🏾‍🎨 Cette première formation peut être prolongée par des stages d’approfondissement ou par des accompagnements plus individualisés. Une attestation sera remise à la fin de la formation.

🐚 Présentation de l’art-thérapie, Problématisation, Mise en situation et appropriation

☆ Intervenants : Benoît Billon, Art-thérapeuthe & Lydia Ledig, Psychanalyste

Cette formation aura lieu :
📅 du 28 octobre au 01 novembre 2024
📌 Dakar
– Tarif: 200 000 fcfa

👉 Pour toute information et inscription vous pouvez contacter Lydia LEDIG psychanalyste au 00 221 78 604 44 51 ou par Courriel lydialedig56@gmail.com

PSYCHANALYSE À DAKAR JEUDI 13 JUIN 2024 17H 19H45 AUX MAMELLES

Dernier cours d’initiation à la théorie psychanalytique de l’année

🐚 Initiation à la psychanalyse, son histoire, ses applications au groupe, à la famille, et son histoire au Sénégal. Une approche inter culturelle, avec ses enjeux contemporains sera abordée 👩‍👩‍👧‍👦

⭐️ Nous partagerons un film sur Jo Ouakam réalisé par Wasis DIOP.

👉 Pour toute information et inscription vous pouvez contacter Lydia LEDIG psychanalyste au 00 221 78 604 44 51 ou par Courriel lydialedig56@gmail.com

👉 La prochaine série de 12 cours sur la théorie psychanalytique aura lieu à partir de janvier 2025.

PSYCHANALYSE À DAKAR JEUDI PROCHAIN 17H 20H AUX MAMELLES

1ère séance d’une série de 12 séances d’initiation à la théorie psychanalytique

🐚 A l’issue de cette formation vous serez initié à la psychanalyse, son histoire, ses applications au groupe, à la famille, et son histoire au Sénégal. Une approche inter culturelle, avec ses enjeux contemporains sera abordée 👩‍👩‍👧‍👦

Cours théoriques, films, textes, échanges entre stagiaires.

⭐️ Une attestation vous sera remise en fin de formation.

Chaque séance aura lieu :
📅 le jeudi de 17H à 20H
📌 Dakar aux Mamelles
– Tarif: 10 000 fcfa

👉 Pour toute information et inscription vous pouvez contacter Lydia LEDIG psychanalyste au 00 221 78 604 44 51 ou par Courriel lydialedig56@gmail.com

Formation à l’Art et Thérapie – Novembre 2023

Faire peindre, quoi de neuf ?

L’artiste et le thérapeute, la carpe et le lapin dit l’argument. Effectivement, au nom de quoi un patient devrait s’y retrouver entre un artiste et un thérapeute ?
Etant peintre -pas seulement-, il m’arrive de faire peindre contre rémunération des personnes, adultes ou enfants, dans un cadre de soin.
J’évoquerai en deuxième partie seulement ma pratique de direction d’atelier et la question de l’art-thérapie.
Pour commencer, je consacrerai quelques pages à l’histoire curieuse qui a pu lier l’artiste et le thérapeute. Car ce qui les a liés, ce n’est pas le malade, on le verra. C’est sa maladie, ou son expression.
Et dès lors qu’il y a eu production, il y a eu énigme, débat. On pourrait en effet y trouver du symptôme ou du significatif, voire de l’autocuratif…
Ça mérite un intérêt pour les médiations à des fins thérapeutiques !
Imaginons d’ailleurs un hôpital de jour sans atelier. Ne resterait que le soin médical … et l’expression des malades. Dont il faut bien faire quelque chose, avant que ça dégénère…

L’expression des malades / Une approche historique

L’histoire de l’expression des malades est intéressante en ce qu’elle annonce l’alliance artiste / thérapeute, à l’avantage l’un ou de l’autre, ça dépend.
Si l’artiste existe depuis la Renaissance, la psychiatrie moderne doit attendre la révolution et un certain PINEL qui désentrave les aliénés, les écoute et leur parle. Certains fous furieux se calment.
Le traitement dit « moral » des patients est né.
Quelques décennies plus tard, on passe de l’aliénation mentale à la maladie mentale. L’expression du patient divise alors le corps médical.
FALRET ne souhaite plus s’en embarrasser : « le médecin ne doit pas être leur secrétaire, leur expression n’a pas d’intérêt en tant que telle ». Seuls les symptômes doivent intéresser. Il faut décrire les mécanismes, les signes. C’est le tout-sémiologique.
« Il n’y a plus besoin que les gens parlent ! » dit Gaëtan Gatien de CLERAMBAUT, le dernier psychiatre selon LACAN.
CHARCOT photographie ses hystériques, et le tout-Paris artistique accourt à Sainte-Anne.
L’artiste et le médecin se fréquentent par l’intérêt pour la maladie mentale naissante.
En contrepoint, naît l’étude de la psychopathologie des expressions. TARDIEU, médecin légiste, publie en 1872 une étude médico-légale sur la folie. Il s’intéresse à ce que disent, écrivent ou dessinent les fous. C’est un texte fondateur, permettant d’envisager autre chose que du diagnostic, même s’il parle des peintures de manière assez lyrique : « J’ai eu pendant de longues années sous les yeux un aliéné qui n’avait jamais eu aucun talent, mais qui passait sa vie à peindre ; j’ai vu plus de cinq cents de ses tableaux, quelques-uns de grande dimension, dans lesquels les associations de couleur les plus folles, des figures vertes ou écarlates, des proportions inusités, des ciels jaunes, des effets de lumière impossibles, des architectures inconnues, des flammes infernales, réalisaient sous des formes inimitables les rêves les plus indescriptibles ».
Souvenons-nous quand même que VAN GOGH a peint dans ces années-là !
En 1876, SIMON, dans L’imagination et la folie, tente d’établir une relation entre la maladie et l’auteur de l’œuvre.
Les psychiatres s’intéressent à ce que produisent les patients, il y a une fascination pour l’expression de la folie.
C’est à cette époque qu’est relatée pour la première fois une expérience de dessin fait par un patient devant son médecin.
Des collections apparaissent, des musées se créent, des kermesses s’organisent dans les asiles.
Il ne faut pas s’y tromper, il y a dans cette ouverture au grand public la volonté d’épater le bourgeois. On expose aussi bien les dessins et peintures que les objets fabriqués afin de s’évader ou tuer.
La salle de réunion de Villejuif est entièrement ornée de peintures de malades dès le début du XXème siècle.
La folie, selon Benjamin RUSH, un des tous premiers collectionneurs, « révèlerait les talents, permettrait l’arrivée à la surface de fossiles précieux et magnifiques dont les propriétaires n’avaient pas conscience »…
C’est la période du symbolisme, à la veille de la grande guerre : on recherche avant tout en art l’authenticité et l’expressivité.
C’est à ce contexte qu’est due la reconnaissance de l’art asilaire.
Les manifestations de la maladie mentale peuvent à partir de ce moment avoir une valeur artistique.
Dès 1900, on organise dans toute l’Europe des ateliers de peinture dans les établissements.
Sans artiste encore, puisque le fou est artiste.
En 1905, un musée de la folie ouvre à Villejuif.
En 1907, Marcel REJA publie L’art chez les fous. Sous ce pseudonyme de critique d’art reconnu, se cachait en fait Paul MEUNIER, psychiatre de son état. Cela a été découvert il n’y a pas si longtemps.
REJA parle d’art en soi, même si le fou subirait le mouvement alors que l’artiste le dominerait.
Il loue la puissance expressive des œuvres, « il n’y a là aucun métier ; il y a mieux : il y a une âme ».
Paul KLEE : « Les œuvres des aliénés sont à prendre plus au sérieux que tous les musées des Beaux-Arts, dès lors qu’il s’agit de réformer l’art d’aujourd’hui ».
1921 : première monographie concernant la production artistique d’un aliéné, WOLFLI, par un psychiatre, MORGENTHALLER. Les deux noms figurent au même niveau sur la couverture.
Le but avoué de MORGENTHALLER est de faire reconnaître WOLFLI en tant qu’artiste, afin de lui permettre de « réorganiser sa personnalité ». L’expression du patient devient une tentative d’autoguérison.
Le patient-artiste, associé au thérapeute, prend en charge sa maladie.
1922 : publication de l’Expressions de la folie de PRINZHORN. Ouvrage de référence qu’ELUARD fera connaître au milieu surréaliste français. C’est lui qui a l’idée que la détresse humaine pourrait donner le sursaut d’avoir envie de créer, et que ces productions relèveraient de l’art. Elles
seraient même « l’expression de la plus pure expression ».
On sait maintenant que les maîtres « prinzhorniens » possédaient en fait une maîtrise et une culture, et que leurs productions reflètent les lois esthétiques de leur époque. On date aussi aisément un dessin d’aliéné que celui d’un artiste.
Les galeries et les revues d’art présentent les œuvres d’aliénés au même niveau que les œuvres d’artistes de renom.
En 1930, FERDIERES, psychiatre, invite BRETON et DUCHAMP à la salle de garde de Sainte-Anne. Il y organise une discussion autour de l’ouvrage de PRINZHORN. FERDIERES fréquente BATAILLE et LEIRIS avant d’aller à Rodez suivre ARTHAUD.
Les psychiatres et les artistes échangent autour de l’énigme de folie. Le public suit.
1946 : une expo est organisée à Sainte-Anne en réponse à celle des nazis autour de l’art dégénéré. Gros succès.
1950 : à l’occasion du premier congrès mondial de psychiatrie, 1500 œuvres de patients de 17 pays sont exposés à Sainte-Anne. 10000 visiteurs. Il y a des enjeux. Une polémique naît entre DUBUFFET, l’inventeur de l’Art brut, et Sainte-Anne. C’est à cette occasion qu’il lance son fameux « Pas plus d’art des fous que d’art des dysleptiques ou des malades du genoux ! ».
La reconnaissance culturelle de la dimension esthétique d’œuvres de malades mentaux est un préalable à la pratique de l’art dans le champ social ou sanitaire. Nos médiations artistiques utilisées à des fins de changement découlent de cette rencontre entre la psychiatrie et les mouvements artistiques.
L’artiste, le thérapeute, la folie, la beauté.
Pas encore d’artiste pour le patient.
Le cliché de l’artiste-fou, héritage du romantisme et du symbolisme, rebondit. Il est censé n’avoir aucun savoir-faire avant sa maladie, il est un homme du peuple ! DUBUFFET invente des éléments biographiques. Il est déçu lorsqu’il visite à Heidelberg la collection PRINZHORN : pas assez fou, trop professionnel !
L’art des fous est une particularité socioculturelle. Ce n’est nullement un « nouveau continent », mais un art qui a acquis sa place dans la modernité grâce à l’intérêt porté par les artistes, après celui des psychiatres.
Pour nombre d’artistes-aliénés, peindre ou éplucher des patates, c’est pareil. On en est là au milieu du XXème siècle.
On passe alors à l’étude scientifique de l’œuvre des fous, pour tenter d’établir un pont entre l’esthétique et la psychopathologie. On va même, pour ça, faire des expériences avec des peintres à qui on fait absorber différentes substances, de la psilocybine par exemple.
Il devient indispensable de paramétrer l’œuvre, de l’objectiver. WIART, psychiatre au Département d’Art Psychopathologique de Sainte-Anne, propose, en 1967, une « technique d’analyse et d’automatique documentaire ». Cette technique utilise des items dont certains décrivent les éléments formels du dessin quand d’autres font référence à la linguistique ou à la sémiologie. Les éléments psychiatriques et psycho-biographiques sont également pris en compte.
On aboutit ainsi à un total de près de 1600 items par œuvre étudiée ! C’est un record. D’autres systèmes sont évidemment plus exploitables. On verra ce qu’il en est des résultats…
Le préalable est de savoir si, objectivement, les productions des malades se distinguent de celles de la population générale. Car alors, cela permettrait d’envisager un usage médical à ces productions, à des fins diagnostiques, voire pronostiques. Ce serait un plus. Une étude américaine des années 90 évoque bien la possibilité de signes plastiques significatifs d’un risque suicidaire ! Certes, il faut bien décrocher des budgets…
Toutes ces études ne sont pas méthodologiquement correctes et le résultat des courses est très flou. On en tire, en fait, pas grand-chose d’efficace. Pour ce qui est de l’attribution d’une note à une œuvre, on relève :
– une forte corrélation avec le quotient intellectuel et le niveau socioculturel de l’auteur de l’œuvre
– une fidélité inter-correcteurs satisfaisante.
On sait donc noter, mais ce n’est pas la pathologie qu’on décèle.
Pour ce qui est de l’attribution d’une œuvre picturale ou graphique à une population de référence, pathologique ou non-pathologique, un juge non spécialisé est aussi peu fiable qu’un professionnel de la maladie mentale ou de l’art.
Il n’y a toujours pas unanimité, aujourd’hui, sur la capacité à discriminer des œuvres de malades de la population générale…
On a même essayé, par l’étude du jugement esthétique des patients, un test dont le principe était de rechercher par la polarité métaphorique ou métonymique une organisation névrotique ou psychotique.
Dans le dernier quart du XXème siècle, on s’intéresse, non plus aux productions, mais aux résultats thérapeutiques ou aux processus de création en atelier.
Les très nombreuses publications d’études de cas de patients isolés n’évitent pas l’extrapolation du particulier au général.
Reste aujourd’hui une énigme : est-ce que les signes d’expression plastique évoluent en même temps que les signes cliniques ? Est-ce que cette évolution de l’expression peut être conditionnée par la pratique d’activités et donc avoir une incidence clinique ?
Est-ce qu’il y a un lien entre la pathologie et l’expression, par exemple picturale ? Est-ce que l’on peut influer sur l’un en influant sur l’autre ?
Pour un arthérapeute, ce n’est pas une énigme, c’est une hypothèse de travail.
L’œuvre et le patient sont liés. L’homme est ce qu’il produit. Et vice et versa. Autrement dit, une relation directe existerait entre l’état du patient et l’évolution de ses productions plastiques, avec effet inducteur rétroactif, évidemment.
Toute l’approche scientifique tente d’établir une justification à l’utilisation médicale des médiations artistiques. Autour de l’expression des malades.
Toujours pas d’artiste dans cette histoire, sauf s’il est sujet d’étude.

L’artiste en atelier

On vient de le voir, le psychiatre s’est intéressé aux productions de ses patients et aussi aux artistes en tant qu’éclairage possible quant à la création.
L’artiste, lui, s’est intéressé aux productions de patients en tant qu’elles pouvaient servir le débat sur l’art.
Le patient, lui, n’a toujours rien demandé de ce côté-là ! Je n’ai jamais reçu une demande de pratique artistique à des fins thérapeutiques ! C’est l’arrivée de l’art-thérapie qui a créé la demande à des fins d’aide ou de soutien. Pour ce qui est du thérapeutique, c’est sur indication médicale.
L’artiste en tant qu’intervenant à des fins thérapeutiques, c’est récent et il faut aller chercher du côté du statut de l’artiste pour mieux le comprendre.
Dejà, l’artiste aurait des choses à dire de la création. Il pourrait, soyons-en sûrs, dire quelque chose de l’indicible.
De mon point de vue, c’est plus basique : l’artiste intrigue parce qu’il se confronte allègrement à la page blanche. C’est son matériau, le vide. Oui, c’est un régal pour moi d’attaquer une toile. De l’appréhension, un peu, la même, à chaque fois, que celle de la première séance, quand on se retrouve allongé sur un divan avec quelqu’un dans son dos. L’aventure de l’inconnu, le vrai. De l’appréhension, mais aussi de l’évidence. C’est ça être artiste. Tu peins ? J’aimerais tellement savoir peindre ! Et là, je déçois toujours en affirmant qu’avec plus ou moins de travail, tout le monde est capable de faire le portrait de sa grand-mère…
De plus, aujourd’hui, chacun revendique le droit qu’a l’autre. On doit tous être égaux, jusqu’à l’absurde ou l’impasse. Y compris pour le droit de s’exprimer ou à être un artiste. Ça date d’Andy WARHOL, le pape du Pop-Art. Et depuis la Loi du 30 juin 1975, chacun, handicap ou pas, a un droit d’accès à la culture, toute la culture.
Pour l’artiste, il n’y a plus de prince mécène, mais le RMI. Et l’artiste, le plasticien, depuis qu’il s’est émancipé de la technique, n’est plus forcément en capacité de l’enseigner.
Le thérapeute, ayant atteint ses limites, est venu chercher l’artiste. Il a fait appel au spécialiste pour animer ses ateliers.
Mais il ne s’agit plus de médiation, il s’agit de peinture, de danse, de théâtre, de musique, d’écriture. Un artiste ne pratique pas de médiation, il pratique son art. Il n’en fait pas plus pratiquer, de la médiation. Ou alors, il s’emmerde, l’artiste.
Les ateliers, un débouché bienfaiteur pour l’artiste, même si ça ne se dit pas trop ? Il y a des budgets, des tarifs homologués, des horaires, des comptes à
rendre, des labels officiels. Y’a du numéro SIRET dans l’air, de la profession libérale. C’est fini la Maison des Artistes !
Le nombre de copains qui courent les ateliers de la région parisienne… Jusqu’à plus en pouvoir. Pour un statut social. Comme tout le monde, l’artiste !
Arrivé en milieu soignant, l’artiste n’est pas seul. Il n’est pas thérapeutique, l’artiste. C’est le mélange des genres qui le serait. Artiste plus thérapeute, ou art-thérapeute.
Et ça produit des effets, effectivement, quand bien même peindre ou parler n’a jamais, en soi, guéri personne, ça se saurait !
Pour l’expérience en atelier, la littérature abonde. Elle évoque tour à tour production de subjectivité, élargissement de champ des possibles, prothèse identitaire -par le style par exemple-, lieu de résidence de virtualité subjective, ou autre inscription du corps dans un espace créé. Sans parler de l’inscription dans le temps, accrocher du rythme. L’artiste contribue au processus thérapeutique qui consiste à faire passer le temps. Car il faut que le temps passe…
En plus, le patient est bonne pâte, il valide l’alliance de la carpe et du lapin. Rien à dire là-dessus.
Mais toujours pas de théorie validant l’art-thérapie, même si ce ne sont pas les tentatives qui manquent.

Mon expérience

Je vais tenter de vous en dire un peu plus, de l‘artiste et du thérapeute. Car on est dans le particulier. Forcément.
Ma première expérience remonte à l’époque où, jeune peintre, je devais trouver un job d’appoint. A l’ANPE du coin, j’ai eu le choix entre l’abattoir, c’est pas une plaisanterie, et l’IME. J’ai choisi l’IME, car quand même, le mythe de l’artiste qui bosse à l’abattoir la nuit pour peindre le jour, c’est mieux dans les livres !
J’ai évidemment ouvert l’atelier peinture du mercredi après-midi. J’ai pas obtenu un franc succès auprès de ma hiérarchie, méfiante, suite à la première femme nue dessinée par un gamin qui m’avait testé sur le mode « on peut tout peindre ? ».
J’ai quand même continué dans le médico-social ou le social, et dans la peinture. Jusqu’à tenter de concilier les deux par un diplôme universitaire d’arthérapeute. Diplôme reconnu par tous les ministères qu’il faut. Si ! Si !
Il m’arrive de diriger des ateliers auprès de différents publics.
Je m’y présente en tant que peintre, jamais en tant qu’arthérapeute. (Ça peut quand même parfois m’arriver, en séance individuelle, pour rassurer, car qu’est-ce que ce serait, un artiste qui vous veut du bien ?)
J’ai toujours ma blouse de peintre. Maculée, une blouse qui ne me sert plus qu’à ça. J’ai aussi toujours à disposition des reproductions, de la carte postale au dictionnaire.
Je ne peins jamais en atelier. Cela m’est pourtant déjà arrivé mais je me suis aperçu très vite que je n’y faisais que d’illustrer l’histoire de l’art. Je peignais la Peinture.
Je suis au service des patients-peignants pour ce qui est du matériel, de la technique (à la demande seulement), et du soutien.
Le reste du temps, je regarde, je regarde peindre. Plus ou moins près, ça fait partie du cadre annoncé. Car le particulier s’appuie sur de la fonction.
Il y a la fonction symbolique du peintre. C’est pour la garantir que je ne montre jamais en atelier ce que je peins. Il y a mon titre, ma blouse et les reproductions. L’histoire de la Peinture est assez vaste, depuis que l’Homme existe pour y montrer tout ou presque… Curieusement, avec une bibliothèque assez réduite, toutes les résonances existent. Que ce soit dans la peinture ancienne ou contemporaine. Pas besoin d’aller du côté de Jérôme BOSCH, il y a chez MEMLING toutes les frayeurs et toutes les maternités du monde !
Il y a la fonction contenante du cadre. Les règles de fonctionnement, tout simplement. Si je prends l’exemple d’un atelier au CMPP, à Reims, on peint debout -la trace est produite par tout le corps, pas seulement par la main ou le bras-, sur sa feuille. Un temps de la parole existe avant et après le temps de la peinture. Les œuvres de la séance précédente sont exposées. Personne d’autre que les participants de l’atelier ne voient les peintures. Elles ne sortent pas de l’atelier et sont détruites après le départ définitif de leur auteur. S’agissant ici d’enfants, une concession de taille a été faite : ils peuvent emporter, le dernier jour, une peinture. Episodiquement, une sélection des œuvres d’un enfant est exposée. Il est surprenant de constater combien de personnes, enfants comme adultes, sont incapables de « voir » leurs productions.
Et il s’y passe des choses en atelier, choses qui peuvent avoir à faire avec du thérapeutique.
Quelques vignettes récentes, toutes liées -c’est mon boulot- à l’expression picturale de ces patients.
David, qui ne peint que des « boîtes » -un rectangle d’une couleur cerné par une autre couleur-, des « grabourages » -des gribouillages- et des bonhommes un peu « têtard ». Il ne sait pas peindre ce qu’il voudrait. Il ne sait pas qu’il peut. Il a bien essayé de faire comme ses copains, au moment de Noël, avec la ligne brisée du sapin. Impossible de la refermer, il n’y a pas de sapin. Mais il y a des peintres, parmi ceux que je présente, qu’il aime et qu’il reproduit. ROTHKO a été le premier, évidemment, avec ses grandes « boîtes ». David s’en saisit pour peindre une « boîte qu’on ne connaît pas ». Sam FRANCIS le deuxième, là encore, avec ses grandes taches de couleur. Et puis une œuvre du XIXème, une dame avec un chat dans un canapé. David place très correctement les masses de couleurs pour ce qui est du décor de l’appartement, le fond. Et puis, pour la dame et le chat, il lâche la copie et les dessine à sa manière. La manière d’un enfant. Il sait et il s’en est servi, comme un peintre !
Très peu de temps avant, emberlificoté dans les lignes brisées qui ne veulent pas se fermer, il se surprend sous mon regard à tracer une croix au crayon. Je dit « sous mon regard » car je suis juste derrière lui, et à peine a–t-il dessiné sa croix qu’il se tourne vers moi, très surpris et inquiet de ce qui vient de se produire. Il dessinera d’ailleurs ce jour-là d’autres croix sur une feuille qui traîne au milieu du matériel, en douce… On avait regardé en introduction le travail de MALEVITCH, ses carrés et croix noir sur fond blanc, ses carrés blanc sur fond blanc.
C’est à peu près à cette période que l’école constate que David a accès aux apprentissages. Il peut maintenant se souvenir d’un livre qu’il souhaite que je rapporte…
Marie, dans une très difficile séparation d’avec sa maman.
Elle ne peint pendant des mois que du « même » : sur les deux feuilles blanches punaisées côte à côte, elle duplique chaque peinture. Le soleil en haut à gauche, le bonhomme en bas à droite, par exemple. Deux mêmes peintures. Pas en miroir, les mêmes. Et puis retour à un bout de papier ou à bout de ficelle, pour se calmer.
Elle ne travaille que sur sollicitation. En l’absence de son bout de ficelle, il lui est demandé de le peindre. Marie dessine deux bonhommes sur une seule feuille, un à gauche, un à droite, écrit sous l’un « Marie », sous l’autre « Maman », et trace une ligne de séparation entre les deux : la ficelle. Elle la désigne, comme les deux personnages, et écrit, sous « Marie » : « fille » pour ficelle. Ça ne s’invente pas !
Albert et son prénom, ou plutôt les lettres de son prénom. Chaque feuille peinte en atelier doit être signée. Albert connaît très bien les lettres de son prénom. Mais elles se promènent au gré de ses peintures, la plupart du temps disséminées dans les différents éléments colorés. Parfois, il signe « correctement ». Parfois il relie après-coup chaque lettre dans le bon ordre, il les « soude ». Ou alors ne retient en évidence, côte à côte, que le A, le R, le T. Et en rajoute d’autres : S, O, T, pour STOP.
C’est Albert qui sélectionne souvent la reproduction de l’artiste BEN : « rien de nouveau ». Et nous la présente en silence lorsque c’est le moment de causer de sa peinture. C’est arrivé.
Et des exemples comme ceux-ci, c’est du banal, du quotidien. Un peintre en atelier ne recherche pas ces évènements. Il les autorise, c’est tout.
L’expression pour l’expression.
PRINZHORN parlait d’expression de l’expression.
Mais, c’est important, IL N’EN FAIT RIEN, le peintre, de ce qui advient. Que de continuer à faire peindre, de séance en séance. Mon seul acte thérapeutique consiste à dire si je pense qu’il faut passer à autre chose, envisager la fin de la prise en charge.
Lorsque ça peint en atelier, il n’est plus question de patient, d’artiste ou de thérapeute, il est question pour mon œil de PEINTURE. J’offre un regard dans un cadre donné. Et le sujet en est la peinture.
Mon travail, c’est d’incarner le REGARD par la PEINTURE. C’est sur ça qu’il y a transfert, transfert au sens de moteur. Et le thérapeute guette. (Je ne développerai pas plus cela ici, c’est un autre propos…)
La question reste : l’artiste, qui n’est pas thérapeute, où trouve-t-il son compte dans ces ateliers ? Car la fascination pour la folie ne tient pas longtemps…
Comme quand je peins, j’y trouve un immense plaisir pendant et après, l’appréhension d’être à chaque fois au pied du mur -le grand saut-, beaucoup d’énergie à mobiliser.
Il ne s’agit que de peinture. Car la pose d’une touche de peinture sur une feuille, pour rien, pour ça -l’expression pour l’expression-, relève à mes yeux de la grâce, de l’événement fondateur, toujours.
Et que ce geste, cette trace soit d’un autre que moi, c’est plus simple. Presque mieux. Sur ma toile, je ne peux me contenter du plaisir de la touche, de l’inscription. Certains artistes reconnus ont, c’est vrai, exploité cette voie.
L’ont développée à leur sauce. TORONI ou OPALKA, par exemple. Mais ça n’était déjà plus ça, c’est forcément intégré dans une histoire, de l‘intime à l’universel. Et c’est plus cette grâce, même si ça en décline.
Cet instant-là, celui de l’inscription dans le monde, les phénoménologues en parlent très bien, le décortiquent très bien. Les peintres aussi.
Moi, c’est comme de la musique ! Rien ne peut le remplacer à mes yeux. C’est la danse toute entière qui se résume, se concentre, tout dans la trace.
Il n’y a pas que la déposition. C’est aussi un bonheur de contempler certains morceaux choisis.
Il s’en fout, le patient, même si ça peut être parfois une piste de travail, l’approche esthétique. L’arthérapeute et le thérapeute, j’espère aussi qu’ils s’en foutent, ils sont pas là pour ça. Mais l’artiste, il se régale. C’est comme au musée, sauf qu’il n’y a pas la foule, la reconnaissance sociale. Rien que pour moi ! Car les œuvres, elles finissent à la poubelle, et si je prends des notes, c’est pas de ces morceaux-là ! Rien que pour mon œil. Je me rince l’œil ! Je m’en mets plein les synapses, ici.
Pourquoi auprès de ce public ? Pourquoi dans ce cadre ?
Tout simplement parce que le public y est sélectionné.
Je n’accueille pas en atelier tous les enfants d’un IME ou tous les adultes d’un Hôpital de Jour. Il faut avoir une prédisposition, sinon, l’indication ne vaut pas. Et ce public sélectionné est, pour ce qui est de l’expression, par définition hors formatage culturel banal. Sinon, il serait bêtement en psychothérapie !
Entre nous, des dessins d’enfant, en général, qu’est-ce que c’est chiant ! Vous avez déjà vu des dessins d’ados ? Et des dessins d’école, ceux de la Fête de Mères ?
C’est la même chose côté adultes.
Ce plaisir personnel, solitaire, il a à voir avec ce que j’appelle le NOUVEAU.
Dans ces ateliers, je vois du NOUVEAU. C’est à dire des formes et des couleurs qui n’existaient pas avant leur création, que je peux voir par ma culture picturale. Et j’en ai à profusion. Parce que l’atelier est bâti pour ça, j’insiste. Il n’y pas de magie ou de talent. Juste la compétence institutionnelle à installer le cadre, et la place particulière du peintre.
Cela permet l’apparition de NOUVEAU. Pas dans n’importe quel cadre, évidemment. J’ai connu un atelier terre où le grand patron passait le bout de son nez et commandait des cendriers pour le service !
Et le NOUVEAU, le patient s’y retrouve. Rassurez-vous sur mon propos, il est honnête ! Le patient s’y retrouve, car mon NOUVEAU, je l’aide à en faire un peu quelque chose. C’est par exemple comme ça que je choisis d’une séance à l’autre les reproductions que j’apporte. Du lien, du sens avec les productions de l’atelier. A travers la forme, la couleur, le style, la technique, les associations…
Ces petits morceaux de peinture particuliers, ces assemblages uniques, je les partage, donnant-donnant. « Oui, il y a un mot pour la technique que vous utilisez : ça s’appelle le dripping, et POLLOCK l’a fait avant vous. » Sidération, « je ne suis pas seule ! ».
Ça peut faire grain de sable, « dérégler » la machine, ce NOUVEAU vu par moi. C’est une rencontre !
Souvenez-vous de l’expérience de la croix chez David.
Le patient en fait ce qu’il veut, ce qu’il peut. Je lui permets. Et s’il n’en fait rien, reste le reste, ce qu’on a déjà dit, le « mentir un peu, guérir un peu », les béquilles identitaires et autres objets narcissiques de sujétisation qui peuvent « tenir » une existence, c’est vrai.
Un pont existe bien entre l’art contemporain et certaines productions de patients. Logique. Je cite Alain GILLIS, psychiatre-psychanalyste : « les peintres contemporains ont su trouver, ouvrir jusque l’archaïsme les voies du raffinement et découvrir ce fonds de la peinture que certains de ces enfants exploitent à ciel ouvert. […] Ils ont, par la mise en apnée de certaines conventions, plongé plus bas et découvert un territoire poétique, déjà peuplé d’humanité ».
Etre accessible à la peinture d’un autre, c’est mon bonheur ou ma folie.
Ce n’est que ça, un artiste au service du soin !

Et le thérapeute peut y gagner quelque chose dans sa pratique.
Quant au patient, malgré tout un peu le dindon de cette fable, il peut en tirer grand profit … ou passer le temps ! Et c’est déjà pas rien.
Sauf erreur d’accompagnement.
L’art-thérapie, en tant que qualification professionnelle particulière, ne doit servir qu’à éviter à l’artiste et au thérapeute de nuire au malade quand il s’agit de son expression.
Je disais, non irrespectueusement, « dindon de la fable » en évoquant le patient, car la carpe et le lapin s’entendent bien sur la faillite de l’un et l’opportunité de l’autre.
Faillite de l’un si on pense que le métro et les prisons abritent de fortes populations de malades mentaux, c’est ce qu’on dit, et opportunité de l’autre quand on se souvient du débat sur le statut des intermittents du spectacle… L’artiste ne veut plus être un marginal. Les mêmes droits que tout travailleur !
D’ailleurs, supprimons l’alliance artiste / thérapeute / patient : le seul en danger serait peut-être l’artiste !
Cette intervention peut paraître iconoclaste. Son seul souci aura été, par mon expérience, de tenter de clarifier l’intervention particulière des artistes dans le champ du soin, loin des mythes et des usurpations, si c’est possible, au bénéfice évident de patients prédisposés.

Benoît Billon
Journée S.P.C.A.
20 octobre 2006
REIMS

Le fétiche et la mer regards croisés

REGARDS CROISES

C’est à l’occasion de nos rencontres au cours desquelles il m’enseigne la langue wolof que Babacar GUEYE me présente ses photos. Professeur passionné par sa langue et sa culture il répond volontiers avec érudition à toutes mes questions.

Grand bien lui a pris ce jour là de me montrer ses photographies que l’on peut désigner photographies de fétiches si insolites pour mon regard d’occidentale.

Ainsi, Babacar GUEYE me raconte qu’il se promène régulièrement sur la plage et trouve des fétiches rejetés par la mer. Il les photographie.

Il sait que je m’intéresse à sa culture mais comment a-t-il senti que je serais littéralement happée par ses photos ?

Elles ont tout pour me plaire ces photos. Elles représentent tout ce que j’attends d’une démarche photographique. Elles nous parlent d’un monde et d’une culture dont j’ignore presque tout. Elles nous renvoient les signes d’un mystère presque aussi épais pour lui que pour moi.

Nous sommes en territoire Lébou, à Dakar sur la presqu’ile du CAP-Vert et Babacar n’est pas Lébou.

Cette rencontre est trop belle, je vais tenter d’en dire quelque chose.

LE PROMENEUR PHOTOGRAPHE

C’est en homme libre indépendant que Babacar GUEYE a photographié ces fétiches lors de promenades sur la plage de YOFF près de chez lui. Au cours de ses flâneries, ses errances il rejoint la grande famille des photographes voyageurs attentifs aux objets à l’infiniment dérisoire.

Dérisoire … pas tout à fait… Ces objets qui hors de son regard averti peuvent être assimilés à des déchets rejetés par la mer, retiennent l’attention par leur présence mystérieuse. Il a fallu le regard averti de Babacar pour transformer ces objets quelconques en objets uniques. Une fois identifiés comme fétiches, leur allure énigmatique, innommable, les range volontiers du côté du divin. Ce qu’ils représentent, pourquoi et en quoi représentent-ils quelque chose? Le mystère demeure.

La photographie retrouve ainsi sa puissance mystérieuse et dangereuse. Peut-être faut-il ici s’en méfier comme d’un poison.

Mais il est des choses qu’elle est impuissante à dire.

La photographie perpétue une possibilité de description individuelle vis-à-vis de ces objets. Elle place ces fétiches au rang d’objets devenus éventuellement “muséifiables”.

Les photographies de Babacar GUEYE portent toutes une transfiguration du monde. Il ne s’agit pas de l’identique mais du regard du photographe. Retrouver le sens des choses à travers le regard de l’artiste comme regard parcellaire de sa société. La photographie laisse place à toute interprétation possible de ces objets.

Lors de ses flâneries Babacar GUEYE a montré avec son appareil téléphonique qu’il était possible d’interpréter le monde.

Au diable les selfies et autres cultures de l’égo comme des miroirs aux alouettes qui nous entretiennent dans une société de dupes.

Babacar nous montre que l’interaction de la prise de vue peut être autre chose qu’un vol, qu’un viol ou un autoportrait.

Ses photos portent un regard critique sur une partie du monde, de son territoire. Par le questionnement qu’elles induisent, elles peuvent être vues comme politiques. On peut se demander quelle place peut jouer Babacar comme voyeur et photographe à l’intérieur du rituel dont il est question.

Ce sont avant tout des photos de flâneur, de poète, qui invitent au dialogue et à la pensée.

Éthiques, esthétiques elles nous mènent bien au-delà de la contemplation et de la consommation des images.

Le fétiche

Babacar GUEYE va-t-il penser que, échoués ou photographiés, les fétiches allaient livrer leur secret ?
Au Sénégal, les pratiques fétichistes mystiques sont un héritage bien vivant des croyances animistes associées aux pratiques musulmanes. Cet héritage n’est pas un folklore mais un réel fait de société. Considérées comme des pratiques obscures pour les uns et une hygiène de vie pour les autres elles donnent lieu à des rituels magico-religieux et font partie intégrante du quotidien des Sénégalais. Le recours au marabout est habituel au Sénégal. Il y a le bon et le mauvais marabout, celui qui invoque le nom d’Allah et celui qui invoque les « djinées ». Les pratiques musulmanes se retrouvent dans l’animisme.
Pour accomplir sa mission l’objet fétiche devient le véhicule de rituels maîtrisés et accomplis.
Le fétiche auquel on attribue un pouvoir magique reste pour les scientifiques l’objet d’un « malentendu » entre deux civilisations, l’africaine et l’européenne. Réfuté par Marcel MAUSS, Sigmund FREUD s’en empare comme symptôme de perversion. Le choix pervers se définit ainsi : une partie du corps ou un objet sont choisis comme objet d’amour et objet d’une excitation d’ordre sexuelle. Notre propos est plutôt lié à la définition plus ancienne du fétiche daté de 1750 comme étant lié à un sortilège, un artifice.
Si l’on tient compte de la définition de Maurice Godelier* qui dit que “toute société humaine est fondée, non pas sur le système de parenté mais sur un système économique d’échange”, le fétiche vient confirmer cette affirmation.
La réponse sociale du fétiche est issue d’une demande faite au marabout en échange d’argent pour régler un problème social relationnel.
Le marabout, bénéficiaire économiquement, est dans la position hiérarchique de celui qui sait. La fonction du fétiche est une fonction de passeur au service d’une vérité. Le génie qui tient lieu d’adresse colmate le manque et représente la vérité. Le demandeur est ainsi pris dans un processus qu’il ignore. Il ne sait pas qui il est pour l’autre. La malédiction peut être à l’œuvre.
Le fétiche efficient est pris du côté du signe et non pas du savoir.
On peut noter que dans une société réputée pour fonctionner sur le mode collectif, le fétiche est issu d’une demande individuelle. C’est le rituel qui affirme dans sa constance le caractère collectif, mais à l’intérieur des règles collectives le fétiche et son secret affirment une individualité au sein de la communauté.

A YOFF le Lébou est lié à l’esprit de la mer, aux génies de la mer. La mer a rendu des objets sensés disparaître. A-t-elle ainsi rompu la mission du fétiche ? La mer l’a rendu, il est sorti de l’eau salée, peut-être purificatrice.
Le sens du fétiche, même s’il a la forme d’une bouteille d’eau en plastique, n’est pas une bouteille à la mer. Cette dernière n’a pas d’adresse, son adresse est inconnue et même considérée comme improbable.
Le fétiche de la plage de YOFF rejoint un monde chargé de génies chers au peuple Lébou.
S’il y a un lien entre le fétiche de la tradition Lébou et le fétiche décrit par Sigmund FREUD c’est la croyance investie dans l’objet. Le fétiche est investi d’une mission liée à une croyance individuelle.
La personne qui fait sa demande au marabout est supposée avoir un problème social, collectif, individuel, relationnel peut-être inconscient. Cet objet issu d’une relation qu’on pourrait nommer transférentielle entre le marabout et le demandeur a été l’objet d’un échange d’argent contre un pouvoir supposé. On peut avancer que le don et l’échange animent cet objet et le dotent d’une mission magique.
L’objet fétiche va incarner la problématique et sa supposée résolution dans une création élaborée par un marabout, à l’extérieur de la personne du commanditaire. Cet objet externe au demandeur incarne la réalisation d’un idéal. Le lien à la communauté est préservé tout en maintenant une croyance à l’idéal du moi qui fait son chemin à l’extérieur de l’individu. L’idéologie individuelle passe par un rituel inscrit dans le collectif, ainsi la cohésion sociale est maintenue. Peut-être que cette fiction magico-religieuse comme régulateur social vient mettre un voile sur la question des interdits et des tabous. Les affects du demandeur se trouvent comme “ gelés “ à l’intérieur de l’objet fétiche, projetés en dehors vers les génies de la mer chargés de résoudre le problème dont il est question. On peut y voir sans doute un évitement du savoir de la vérité au risque de la castration dans l’organisation sociale dont il est question.

A MER COMME CRYPTE ?

Le fétiche échoué sur la plage soulève la question de savoir s’il révélera son secret. Cependant, il semble évident que le secret sorti de la mer reste intact. La mer, en tant que lieu de tous les secrets, agit comme une crypte ou un refuge, offrant un asile au dialogue entre les fétiches et les dieux. Elle accueille le secret sans en dévoiler ni en révéler le contenu.

Le fétiche apparaît comme un secret dépourvu de mots pour le transmettre ou le définir. Comme s’il y avait quelque chose qui pourrait être dit, révélé ; un secret qui, bien qu’ignoré, a toujours un destinataire. Ici, le destinataire relève du domaine mystique, la mer agissant comme une crypte, c’est-à-dire un domaine indéchiffrable.

Le fétiche, béni ou maudit, revient sur la plage sans partager quoi que ce soit du travail (liggey en wolof) qui l’a engendré. Le photographe n’est pas le destinataire du secret, mais plutôt l’illustrateur de la tension créée par le refus du fétiche de livrer son message. Se transforme-t-il en intrus ? Certains objets disparaissent d’un jour à l’autre, révèle Babacar.

Le photographe intrus s’assume comme tel et contribue à laisser échapper des bribes du secret suintant du fétiche. Est-il encore vivant, incarnant la mort ? Babacar GUEYE exprime son intérêt pour la mer en tant qu’élément intégré dans la démarche de maraboutage, bien que ses rencontres avec plusieurs marabouts n’aient pas abouti.

Le secret, semblable à un tombeau ouvert, ne livre aucun message, laissant à chacun le soin d’élaborer sa propre fiction. En évitant les a priori, une inquiétude traverse l’observateur : dans quel monde sommes-nous ? Ces objets témoins invitent à une certaine indétermination culturelle. On se demande si ces démarches laissent une trace dans l’histoire du sujet demandeur et quelle incidence elles ont sur sa vie psychique.

L’objet déchet/sacré répond à une demande en résolvant immédiatement un conflit social et individuel, mais qu’en est-il ensuite ? Au croisement de leurs chemins, Babacar GUEYE et moi avons dialogué longuement, tentant peut-être inconsciemment de percer le mystère de ces objets. Ce qui se cache dans les suintements de ces objets fétiches nous échappe à tous les deux, et le danger potentiel de l’interprétation pour les non-initiés demeure incertain.

J’ai le sentiment que nous avons démontré la possibilité d’un dialogue dans la tentative d’élaborer un sens commun. Babacar GUEYE, intellectuel reconnu muni d’un appareil photo, incarne l’Afrique en mouvement hors des sentiers traditionnels. Les objets lui rappellent les ancêtres et symbolisent la présence des génies avec leurs présumés pouvoirs sur les côtes de DAKAR. Les traditions et rituels à caractère collectif représentent des recours à des démarches individuelles auprès des marabouts, liées à la tradition et aux religions intimement mêlées.

Entre ethnologie, anthropologie, sciences des religions et psychanalyse, ce travail pourrait être considéré comme une traduction visant à comprendre et à appréhender les différences. Dans cette ouverture au dialogue, peu importe la discipline, laissons-le poursuivre sereinement son chemin.

Lydia LEDIG septembre 2021

* Maurice GODELIER « Au fondement des sociétés humaines » Albin Michel, P93

Impressions sur « Kanyar »

Il commence par arriver d’un espace indéfini, hors scène, mêlé au public. Errant dans un espace indéterminé, Il marche visage mutique, dans une déambulation au milieu de … seul. 

La scène, espace noir, est barrée par un mur noir et réduite à un simple passage le long de ce mur.

L’espace scénique m’évoque cette route en corniche si singulière qui relie Saint Denis à la ville du Port. Le surgissement de la montagne menaçante sujette aux éboulis, ou l’ile de la Réunion petite bande de terre plate en bord de mer d’où la montagne volcanique surgi si vite.

Le début du spectacle de Didier ne serait-ce pas l’histoire de chaque Réunionnais issu de la mer d’une origine si diversifiée. Didier le danseur incarnerait-il en début de spectacle cette scène originelle ? Chaque Réunionnais inconnu arrive sur cet ilot. Didier BOUTIANA, le Kanyar entre en scène seul, enveloppé d’un peignoir, comme un mystère. Début pendant lequel  nous sommes en attente d’un secret dévoilé qu’exprime son visage mutique et son corps  suspendu dans une circulation errante.

Que va t-il pouvoir faire dans ce petit espace qu’un mur noir énorme menace ?

Puis, dans un bain de naissance fait de sons urbains de la rue, il se met en mouvement le dos au public. Il avance seul déterminé le pas sûr vers le mur qui s’efface devant lui. 

Le public assiste à l’éloignement par cette marche lente et assurée. La violence surgit par des coups donnés vers ce mur qui incarne une marche difficile, faite de lutte et d’avancées par la force et la violence. 

Progressivement surgit l’horizon, l’ailleurs, le mur est au dessus de sa tête et lui laisse un espace vaste indéterminé. 

Le soulèvement du mur pourrait symboliser la levée de l’amnésie liée à son histoire.

La danse se met en branle, le corps se met en mouvement. Les mots manquent la pensée est mise en abîme. Il y a violence,  lutte, tentative de communication. Il y a du dire dans la beauté et la perfection du geste. Dans un tumulte il y a force, violence, failles. Son peignoir qui suit le mouvement de manière désordonnée contrarie l’érotisme de la beauté du corps. Le regard incarne une retenue teintée d’arrogance. 

Le Kanyar renonce à l’ouverture de l’horizon pour se débattre entre terre et ciel. Ciel sombre menaçant qui incarne son passé ? Son avenir ?

Qui est ce Kanyar ? Le secret va t-il être dévoilé ?

« KANYAR » dansé par Didier BOUTIANA

A la Réunion, le kanyar c’est le voyou, le marginal, le délinquant. Il est en groupe, en bande et il fait peur.

Didier Boutiana a choisi d’en ôter l’article « le » pour en faire sans doute autre chose, un concept, son concept. Peut-être, à  travers son spectacle, DB envisagerait de partager son ou ses kanyars avec quelques autres.

Comment écrire sur «  KANYAR »et ne pas réduire, amenuiser, ravaler, tronquer le propos?

Il s’agi peut-être ici d’exprimer l’ouverture de la pensée que produit cette expérience. Simplement, être l’adresse de ce qui est donné à vivre par ce spectacle.
Puisse ce passage par l’écriture servir l’expérience du propos du danseur.

 

Kanyar et ses solitudes

On danse le plus souvent pour être ensembles. On s’y met à plusieurs. Les pas communs invitent la plupart du temps à mettre en forme et donner à voir. Les fêtes et les rituels sont fondés sur des formes nouvelles de mettre les corps en mouvement ensembles.

 Tel « West Side Story » dans les années 1950 à NEW YORK, première comédie musicale qui met en scène les mauvais garçons de l’époque. On pourrait s’attendre avec le mot KANYAR à voir des danseurs danser des affects, des croyances, une culture commune. Des bandes rivales dansant la tragédie sur fond d’histoire d’amour, ce thème aurait bien servi l’attente du public qui peut aimer qu’on lui serve les stéréotypes.

Pourquoi diable ! Didier BOUTIANA a décidé de s’exprimer seul derrière ce mot en exergue : kanyar ?

Que souhaite t-il inscrire ?

Danseur solitaire Didier BOUTIANA dépasse les représentations communes. Si l’on prend en compte les discours organisés que véhicule le mot kanyar, il se livre à une digression.

Lorsque Didier BOUTIANA danse seul, on peu penser qu’il s’isole également des circonstances anthropologiques du kanyar.

Dans sa solitude Didier BOUTIANA sort de l’anthropologie collective et, isolé, attise la curiosité sur son signifiant kanyar. Le danseur passe d’une identité collective à une identité individuelle.

Je soupçonne la démarche « Boutianienne » d’être éminemment subversive pour sortir le kanyar de l’image véhiculée par les représentations collectives.

Il nous invite, nous spectateur à nous identifier à un individu. La solitude partagée du Kanyar décale le propos des idées reçues. Didier BOUTIANA assume la tragédie individuelle du kanyar , il en donne une représentation vivante auquel le spectateur ne peut échapper.

Le processus d’identification du spectateur est porté à son comble. 

Le danseur semble nous présenter un groupe, au un par un, dans une diversité une complexité à multiples facettes.

Les représentations véhiculées sur l’ile de la Réunion, comme dans d’autres endroits du monde, porte ses habitants à un besoin irrépressible de se faire reconnaître comme individu. L’histoire de la Réunion, passée au rouleau compresseur de la culture occidentale est rarement reconnue comme singulière. Les comportements individuels semblent disparaître au profit d’une recherche d’identité collective.

Didier BOUTIANA dans son solo invite à reconnaître une survivance authentique d’une trajectoire individuelle singulière. Il incarne une communauté faite de multiples singularités Réunionnaises.

Didier BOUTIANA danse une solitude peuplée, multiple, contemporaine. Il est multiple même seul, on pourrait dire aussi qu’il incarne une singulière multiplicité.

 

La Réunion/ réunion des kanyars

 Les réunionnais sont rompus à l’interprétation abusive de leurs comportements collectifs et individuels d’une société dominante occidentale. Ils sont habitués aux stéréotypes dont les colons, puis, l’état centralisé à Paris, les affublent.

Représentations collectives  auxquels certains renoncent à échapper. Il est sans doute plus facile de répondre à ce que le dominant attend et peut-être tentant de s’identifier à une société gérée par l’argent dans laquelle on souhaite se fondre ou tout simplement essayer de vivre en toute quiétude.

Le kanyar comme le délinquant de métropole échappe à la normalisation de la morale dominante, transgresse, se rebelle. Est-ce pour autant le même qu’en métropole ?

Ainsi le kanyar est-il la réplique de la « racaille » dont Nicolas Sarkozy a développé le nom ?

Didier BOUTIANA n’est pas le seul à la Réunion à effectuer une digression avec le mot KANYAR. 

On trouve également sur l’île,  la revue « KANYAR ». Cette revue un semestriel qui en est en 2016 au numéro 5. C’est une revue qui se définie comme, je site : « histoires rédigées au soleil ou ailleurs ». C’est une publication de nouvelles de talents confirmés de l’ile de la Réunion et du monde qui l’entoure.

L’élaboration de la pensée par l’écriture des histoires, donne ses lettres de noblesse à une culture locale dans sa singularité. Les textes sont transmissibles au plus grand nombre puisqu’en français, mais le créole y est largement représenté. Le signifiant kanyar peu ainsi redorer son blason culturel et intellectuel.


Kanyar et héritage

Didier BOUTIANA dans sa chorégraphie en solo expose une trajectoire individuelle singulière à une communauté faite de multiples singularités réunionnaises. Peut-être incarne t-il la survivance d’une trajectoire faite de plusieurs générations d’individus dont l’histoire se perd dans les limbes de sa tragédie originelle. Le travail d’introspection du danseur convoque une nouvelle mémoire et la fait advenir dans toute son actualité. 

On peut penser que la dimension contemporaine d’une trace venue du passé est portée par les kanyars.
L’histoire de la Réunion au-delà d’être bordée par l’histoire officielle de l’état français est véhiculée par les hommes.
Didier BOUTIANA a le culot de bousculer un ordre de pensée établi  pour s’incarner comme passeur d’une histoire.

Telle une luciole allumée dans la nuit des écrans de télévision et du nivellement de la pensée, DB nous dit que l’individu réunionnais a survécu dans sa pensée individuelle. DB met en scène «  La survivance des lucioles » tel que George Didi Huberman nous le décrit : comme une lumière allumée à la chosification du monde. Dante a imaginé qu’au creux  de l’enfer, dans la fosse des « conseillers perfides » s’agitent des petites lumières (lucioles) des âmes mauvaises, bien loin de la grande et unique lumière (luce) promise au paradis. 

Pierre Paolo Pasolini a lui même écrit un texte de résistance désespéré en 1975 sur la disparition des lucioles.

Avec Didier BOUTIANA, les lucioles ont survécu malgré le silence et l’obscurité qui recouvrent l’histoire de ses ancêtres. 

Dans son rôle de danseur, il incarne la trace vivante de l’histoire de sa communauté d’origine.

On pourrait parler d’ethnisme à propos de KANYAR. L’ethnisme est décrit par F De Saussure à propos du langage. Ce terme définit un langage fondé sur des rapports multiples de religion et de civilisation. Le langage s’exprime comme une valeur de défense commune vis à vis du reste du monde.

SOUL CITY a été choisi comme compagnie contemporaine pour représenter l’héritier des hommes libres dans  une exposition sur le marronage à Saint Paul  en 2017.

 

Didier BOUTIANA ou, être, hors de la monstration

Il danse seul donc. Il danse au pluriel des solitudes nommées par lui kanyar. Il refuse de plier son corps à l’unique, l’unité. Il fait tout pour se plier déplier sans cesse pour se multiplier. Il fait face. 

Pas de détestation, de dénonciation, de d’indignation dans kanyar. La puissance politique du spectacle évoquerait plutôt l’imaginaire du chorégraphe/ danseur libéré de ses entraves.

Il est malcommode Didier BOUTIANA et tant mieux !

Pas la peine de chercher un usage politique à DB, il ne porte pas de thèse. Il véhicule une complexité faite d’équivoques. Il s’approprie des traces d’une histoire faite d’ombres et d’obscurité.

Une fois de plus on peut vérifier que la politique et l’art sont bien distincts. DB célèbre un non rapport de deux instances qui se surveillent, se font face mais ne se rencontre pas.

Il y a des passages secrets entre l’art et la politique et DB en bon artiste nous les fait ressentir dans une transpiration hors sens.

Cette chorégraphie rend compte du regard de son auteur, le regard d’un seul à nul autre pareil. Nous sommes face à une manière d’habiter la vie le monde et d’en constituer une partie.

 

Le kanyar dit

A la mesure de sa solitude, Didier BOUTIANA ne verse pas dans les lamentations collectives, les critiques vaines qui forment des consensus bien bouclés.

Il préserve sa condition d’homme, d’artiste, avec toute son ambiguïté. Cela fait de « kanyar » une œuvre impossible à circonscrire.Une synthèse du spectacle s’avérerais mensongère et insuffisante, il coupe, il scande. 

Proche, le kanyar cultive cependant le mystère comme une mise à distance.

Peut-on se hasarder à dire que Didier BOUTIANA serait entre ombre et lumière ? Il semble en réserve en obscurité, dans le calme et la profondeur d’une secrète solitude. Sa force ses expressions de corps faites d’éclats nous arrangent et nous éblouissent.

Le kanyar nous apparaît soudain dans une mystérieuse énergie.

Le danseur dévie, rompt la symétrie, biaise, perturbe le sens, brise les enchainements , feinte, détourne.

 

Le corps

Seuls les pas du danseur donnent une limite à la scène, elle n’a pas de contours. 

Le danseur donne parfois l’impression d’avoir un rapport antique au corps qu’il déjouerait sans cesse. Il frappe le sol, le trace. Dessine t’il un labyrinthe ?  

Ou alors les pas d’un rituel païen connu de lui seul. 

La scène incarnerait-elle un labyrinthe dans lequel il se perd ou un temple qui imposerait son rituel ?

Il se bat recule les limites entre ciel et terre, frappe la terre ou s’envole comme un oiseau.

Chacun de ses pas, dans le modeste ou le sublime parle au spectateur et l’interroge.

« Un » devient multiple et éclate en événements de corps dans l’espace de la scène.

Le mur noir comme ciel tantôt menaçant, inaccessible, et porte qui s’efface pour laisser passer le kanyar vers son destin. Contrairement au héros du procès de Kafka qui reste sa vie durant devant une porte et son gardien sans jamais franchir le seuil, ignorant que cette porte est pour lui. La porte s’ouvre pour le kanyar, mais le chemin en devient-il si simple ? 

Ce chemin de scène semble fait de rupture, il ne se propose pas comme un récit mais plutôt une succession de ruptures, de silences et de coups d’éclats.

Labyrinthe ? Spirale ? Arène ? Que nous dessine Didier BOUTIANA ? 

Les contours d’une communauté humaine, la création de pas qui font corps social. 

Le temple par exemple implique l’apaisement le tempéré, comme réponse à toute violence sociale. L’apaisement infini après le chaos de l’acte amoureux.

On peu évoquer à propos de « KANYAR » Marcel MAUSS et son texte sur les techniques du corps: Pour Marcel MAUSS toute communauté humaine se réuni autours de pratiques corporelles communes.

Parle t-il des origines du destin ? Les deux semblent mêlés dans une contemporanéité, il va de l’avant Didier BOUTIANA ! Il ne se retourne guère.

Tel le rhizome de la créolité chère à E Glissant le kanyar est à la fois en profondeur  et en surfaces, en racines multiples mais unique. Le rhizome ne fait pas masse mais s’étend de multiples directions.

Tel un géomètre du rhizome, précis, le danseur mesure à chaque pas, avec son corps, l’exact adéquation de l’espace avec lui même.

 

Le rythme de « KANYAR » ou l’art de se soustraire

On peut repérer dans «KANYAR» un rythme qui répète se multiplie et se soustrait sans cesse.
Tout ce qui peut faire clôture est esquivé se ferme et se coupe pour éventuellement recommencer.

L’art de se répéter et se soustraire n’est pas sans évoquer le bégaiement, une parole qui hésite se multiplie puis changée mot pour aller au plus court au plus serré.

Tout est possible sans cesser de cesser, avec continuité. Le conflit intérieur du «KANYAR» se transforme en conflit structurel exprimé par le rythme comme art de la disjonction.

On peu reconnaitre l’expression d’une tragédie dans la dislocation, la rupture; un antagonisme permanent, une dissonance.

La pensée qui trouve ainsi une expression dans l’espace

Cette danse polyrythmique, accompagnée parfois par le Maloya, par l’altération de son rythme, rend visible la complexité corps qui s’articule à la pensée. 

Le Kanyar s’inscrit-il dans un temps linéaire ? la naissance, la mort comme début et fin ou dans un temps circulaire ou le cycle de la vie et de la mort se répètent à l’infini? Comme dans les cultures polythéistes.

Le temps prend sens avec le rythme, le rythme comme puissance vitale qui accuse les différences et rompt toute volonté d’unanimité.


Conclusion

Pas de préexistence à «KANYAR » sauf comme vestige, morceaux lacunaires, mémoire inconsciente. Il s’agit de trouver ici, dans l’instant présent, une origine qui n’est pas représentée, juste saisie au vol.

La création devient une reconfiguration de la profondeur.

Quelque chose d’immémorial (cher à Victor Segalen), la veste du danseur laissée comme défroque historique accrochée au mur noir du passé comme mystère irreprésentable.